L’experte en droit constitutionnel Anne-Charlène Bezzina analyse le contexte légal ayant entraîné la démission de l’administration dirigée par Michel Barnier. Elle s’attache également à clarifier les contre-vérités relatives aux futures démarches politiques.
Suite à l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution par Michel Barnier le lundi 2 décembre pour faire adopter le projet de loi sur le budget de la sécurité sociale sans passer par un vote, jusqu’à la démission du gouvernement acceptée par Emmanuel Macron le jeudi, la France a traversé une semaine politique mouvementée. Pour comprendre chaque étape de cette mécanique institutionnelle complexe, les élèves du Vrai ou faux junior ont posé des questions à Anne-Charlène Bezzina, spécialiste de droit constitutionnel et maître de conférences à l’université de Rouen, qui a écrit le livre Cette constitution qui nous protège (XO Editions).
Le 49.3, une solution pour mettre fin au débat
Kenzo : « Je souhaiterais mieux comprendre ce qu’est le 49.3. On en parle souvent, mais que signifie-t-il en réalité ? »
« L’article 49, paragraphe 3, est un mécanisme prévu par la Constitution permettant au Premier ministre de clore les débats à l’Assemblée nationale, explique Anne-Charlène Bezzina. Lorsque l’Assemblée nationale n’est pas en accord avec le Premier ministre sur un projet et souhaite encore le modifier, perdre ou gagner du temps, le Premier ministre peut choisir de mettre un terme à la discussion. Il pose alors une alternative radicale : soit l’Assemblée adopte le texte tel quel, dans la version proposée par le gouvernement, soit elle renverse le gouvernement en place. Dans ce cas, l’Assemblée nationale peut décider soit de rejeter le texte et de faire tomber le gouvernement, soit d’approuver le texte sans l’avoir réellement débattu ni amendé. »
Dans le cas présent, l’Assemblée nationale a choisi, le mercredi 4 décembre, de mettre fin au mandat du gouvernement pour empêcher Michel Barnier d’imposer son projet de budget de la sécurité sociale (PLFSS) sans vote formel. La motion de censure déposée par les députés LFI a été approuvée par 331 membres de l’Assemblée, alors que seulement 288 voix étaient nécessaires pour l’adopter.
L’incertitude plane sur le futur du budget
Nathan : « Quelles seraient les répercussions sur les budgets de la sécurité sociale et de l’État en cas de censure du gouvernement ? »
La question est très concrète et pertinente, mais il est complexe d’y apporter une réponse claire pour le moment. D’une part, parce qu’il s’agit d’un événement politique rare – ce n’est que la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République qu’un gouvernement est destitué, la première remontant à 1962. D’autre part, les conséquences budgétaires peuvent varier selon de nombreux scénarios différents. Cependant, la mission du Vrai ou faux junior n’est pas de se lancer dans des hypothèses de politique-fiction.
Projets législatifs suspendus, mais pas annulés
Sasha : « Les projets de loi en cours de discussion seront-ils annulés par le gouvernement ? »
Tant qu’un nouveau cabinet n’est pas formé, les ministres démissionnaires gèrent les affaires courantes, sans lancer de nouvelles initiatives. Actuellement, tous les projets de loi en cours d’examen sont suspendus. Quand celui ou celle qui remplacera Michel Barnier sera nommé(e), il ou elle décidera de poursuivre ou non l’examen des textes portés par l’ancien gouvernement. En attendant, les travaux de commission au Parlement, eux, continuent.
Non, Emmanuel Macron n’a pas à démissionner
Assia : « J’ai vu sur TikTok que Macron devait démissionner à cause du 49.3. Est-ce vrai ? »
« Non, c’est une fausse information, précise Anne-Charlène Bezzina. Emmanuel Macron, en qualité de président de la République, n’est pas obligé de quitter ses fonctions en raison de la mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, qui entraîne la démission du Premier ministre. Le président n’est pas impliqué directeent par cette procédure. Notre Constitution établit clairement cette distinction. Si Emmanuel Macron choisissait de démissionner, ce serait uniquement par une décision personnelle, quand il jugerait ne plus pouvoir remplir ses fonctions. Mais cela n’est jamais obligatoire. »
Un seul président a choisi de se retirer sous la Ve République : le Général de Gaulle, le 28 avril 1969, après avoir perdu un référendum sur une réforme constitutionnelle.
En cas de démission, le président du Sénat fait fonction de président
Clara : « Quelles seraient les conséquences possibles en France si Emmanuel Macron décidait de quitter ses fonctions avant la fin de son mandat en 2027 ? »
« L’article 7 de notre Constitution, » explique Anne-Charlène Bezzina, prévoit les mesures à prendre en cas de vacance de la présidence de la République, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus de président en exercice. Dans ce contexte, l’article 7 indique que c’est le président du Sénat qui assure l’intérim pour gérer les affaires courantes, et cela jusqu’à ce qu’une nouvelle élection présidentielle soit organisée, entre 20 et 35 jours après la vacance du poste. »
Emmanuel Macron pourrait-il envisager une nouvelle candidature ? Non, car l’article 6 de la Constitution stipule que « Personne ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. » Cependant, rien ne l’empêche de se présenter pour un troisième mandat en 2032.