Le ministre de la Justice envisage de regrouper les principaux trafiquants de drogue emprisonnés dans un seul établissement pénitentiaire en France. L’objectif de cette initiative est de prévenir la continuation de leurs activités criminelles derrière les barreaux, en particulier l’utilisation de téléphones portables pour communiquer avec l’extérieur.
Mise à l’écart des « cent principaux narcotrafiquants » dans « un pénitencier ultra-sécurisé ». Le ministre de la Justice a précisé, dimanche 12 janvier, lors d’une interview sur LCI, sa volonté de voir cette initiative mise en œuvre d’ici l’été. Cette mesure s’inscrit dans son plan pour intensifier la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée. « Il est impératif de complètement revoir notre approche face au trafic de stupéfiants », a déclaré Gérald Darmanin. Souhaitant « frapper fort » pour contrer cette « menace pour la sécurité intérieure », 42mag.fr analyse la création de ce centre hyper sécurisé ainsi que les interrogations posées par sa mise en place.
1 Quelles précisions Gérald Darmanin a-t-il apportées concernant cette initiative ?
Le dimanche, le ministre de la Justice a expliqué comment il envisageait de concrétiser l’initiative qu’il avait déjà énoncée le 28 décembre, peu après sa prise de fonction. « Nous allons réaffecter une prison française, la vidant de ses détenus actuels, et y incarcérer, avec un isolement total et une sécurité renforcée, avec des gardiens spécialement formés et anonymes » les « 100 plus notoires narcotrafiquants », ceux qu’il décrit comme les « pires », a déclaré Gérald Darmanin.
Il a réitéré sur LCI qu’il fallait « appliquer à la lutte contre la drogue les méthodes efficaces déjà éprouvées contre le terrorisme, même si des défis perdurent ». Il a précisé que « le système actuel, où l’on isole certains trafiquants parmi d’autres prisonniers, a montré ses limites. Ce système de mixité où l’on réunit terroristes, criminels de la route, auteurs de violences conjugales (…) dans une même prison » ne fonctionne pas, a-t-il poursuivi. « Nous allons débuter par séparer les 100 premiers » narcotrafiquants les plus influents, a-t-il précisé. « Cela s’élargira à 200, puis encore 200… », a-t-il complété. Il a ajouté que « une fois en détention pour narcotrafic, on ne pourra ni téléphoner, ni vivre confortablement ».
Initialement, le ministre avait proposé un « isolement renforcé » dans les établissements pénitentiaires habituels, avec « des fouilles approfondies et un brouillage des communications ». Lors d’une visite à Marseille, le 2 janvier, il avait exprimé l’idée d’une « méthode de l’appartement témoin », inspirée de l’immobilier, comme une « preuve concrète de sa faisabilité », commençant par « les 100 premiers narcotrafiquants ».
2 Où et quand ce projet pourrait-il être réalisé ?
Le dimanche, Gérald Darmanin a évoqué avoir « deux établissements pénitentiaires en tête », sans les nommer explicitement. Selon une source syndicale contactée par 42mag.fr, le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et celui d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne) répondraient aux exigences de sécurité nécessaires. En effet, un tel lieu requiert des équipements de brouillage performants pour empêcher toute communication externe.
Le ministre vise l’été pour l’ouverture de cette « prison hautement sécurisée ». Il a affirmé sur LCI : « Je n’ai pas besoin d’une nouvelle législation pour cela, juste de volonté, et nous l’aurons, puis un peu de budget, et j’y veillerai », sans préciser à quoi il faisait explicitement référence.
3 Quelles réactions cela suscite-t-il ?
Emmanuel Baudin, secrétaire général Force ouvrière Justice, a approuvé, lundi, sur 42mag.fr : « Comme pour le terrorisme, il a toujours été préconisé d’avoir des établissements distincts et non des secteurs particuliers au sein d’une prison » pour isoler les narcotrafiquants. En revanche, Eric Fievez, de la CFDT Pénitentiaire, s’inquiète qu’ « regrouper tous les détenus dangereux au même endroit pourrait poser un risque sécuritaire ». « Les gendarmes, la police, les forces pénitentiaires » devront être mobilisés pour « sécuriser les lieux ».
Le 2 janvier, Emmanuel Chambaud, du syndicat Ufap-Unsa Justice, avait exprimé des doutes sur 42mag.fr concernant cette mesure. Il s’interrogeait : « Comment désigner [les 100 plus grands narcotrafiquants] ? Quels sont les critères ? », et l’avocate Ménya Arab-Tigrine avait critiqué sur 42mag.fr une « annonce choc » qu’elle jugeait « inapplicable », tout en rappelant que dresser une liste exige de rompre le secret judiciaire.
Frédéric Ploquin, expert du grand banditisme, considère qu’il sera « extrêmement ardu » de « sélectionner » les détenus concernés. Dans une entrevue sur RMC, il soulignait d’autres complexités : « En plaçant ces individus dans une même prison, soit on risque un bain de sang, soit ils tireront parti de cette proximité pour structurer un vaste cartel. » Il mentionne que la véritable difficulté de cet établissement réside dans l’isolation phonique des prononciations à même de « neutraliser leur trafic. »
Enfin, Bruno Bartocetti, responsable de la zone sud d’Unité SGP Police-FO, a déclaré sur BFM qu’« Bien que cette idée soit louable, elle requiert d’importants moyens et semble complexe à réaliser dans les délais de quelques mois. »