Gérard Depardieu a décidé de quitter son cher pays, la larme à l’œil et la valise pleine de billets sous le bras. Le lynchage dont il fut victime ne doit pas nous éloigner du véritable problème moral et économique que suppose l’exode des riches. Cette caste à part entière a réussi à mettre une partie des français de leur côté en utilisant les médias comme une tribune de défense de leurs intérêts égoïstes.
Après l’attaque frontale du premier ministre, beaucoup de Français ont pris la défense de l’acteur qui, une fois installé, pourra profiter tranquillement de ses millions accumulés sur le dos des Français (places ciné, DVD ou autres produits dérivés). Dans le même temps, le peuple, lui, continuera de payer sa TVA à 20%, sa CSG à 8% et le reste des impôts nécessaires au bon fonctionnement de la société. Mais si le premier ministre a eu raison de critiquer le départ de Cyrano., il est assez étonnant de voir le silence des socialistes face au départ de Bernard Arnault ou pire sur l’exil fiscal institutionnalisé des tennismen français. De “pauvres” sportifs encore à plaindre, formés par la bonne grâce des deniers publiques, qui préfèrent s’enfuir vers la Suisse, tandis que n’importe quel médaillé olympique continuera de trimer sans pouvoir vivre de son sport. Les impôts ont bon dos pour justifier les comportements anti-patriotiques. Espérons que le peuple français et le fisc n’oubliera pas Arnault et consorts.
Dans sa lettre, Gérard Depardieu nous explique payer 85% d’impôt sur ses revenus. Tachons de voir au-delà du discours démago d’Obélix et des autres fortunés français qui estiment ne pas avoir de comptes à rendre à la Nation. Et concentrons nous sur les faits et uniquement les faits. Les riches sont-ils en difficultés ? Peuvent-ils être imposés à 85% ? Ont-ils réellement des raisons de partir ? À toutes ces questions, nous répondrons tout simplement par la négative.
L’impôt pour les nuls !
Premier erratum de l’acteur, ses impôts 2012 sont imposés sur ses revenus de 2011, c’est à dire au barème de l’année précédente car il n’y a jamais de rétroactivité de la loi fiscale dans les faits. Or, en 2011, c’est le bouclier fiscal de Sarkozy qui est pris comme barème de référence. Dans ce cas, comme l’affirme la loi, aucun individu ne pourra être imposé à plus de 50% de ses revenus, ou, comme le disait si mal notre ancien ministre du budget Eric Woerth, « grâce au bouclier fiscal, les citoyens ne travailleront pas plus d’un jour sur deux pour l’Etat. » Comme si l’impôt servait seulement à payer des fonctionnaires rien de moins… et surtout rien de plus ! Haro sur l’impôt et sur ces dépenses publiques inutiles que sont l’éducation, la police, ou bien encore la justice… Donc, encore une histoire de faux discours pour convaincre les français que « rich is beautiful ! ».
Ensuite, il s’agit de bien distinguer les cachets de l’acteur, 2 millions d’euros sur l’année environ, soumis au bouclier fiscal comme expliqué précédemment et les revenus issus de son patrimoine. Sur les 120 millions de son patrimoine, l’ISF a un taux extrêmement faible avec un taux maximal de 1,8%. Ensuite, les revenus qu’il tire de l’exploitation de ses restaurants seront taxés à 33% de l’impôt sur les bénéfices. S’il place une partie en actions, ses plus-values seront taxées à 20% environ et il paiera 0% sur ses plus-values immobilières. On comprend tout de suite mieux la vente de son hôtel particulier pour 50 millions d’euros. Alors, on pourra dire : « Oui, mais avec les 75% quand même ! » Une affirmation qui amène encore un petit rappel dont peu de médias se font le relais.
Tout d’abord, on parle d’un taux marginal, ce qui signifie que l’on taxe à 75% uniquement les revenus supérieurs à 1 million d‘euros annuel. Les autres revenus situés sous ce seuil étant imposés aux taux inférieurs. Et encore il s’agit de revenu imposable et non de revenu net. Or, sur une déclaration, on distingue très clairement les deux car le revenu imposable se calcule en fonction du revenu net sur lequel vous devez soustraire un ensemble de niches fiscales (environ 480) vous permettant de réduire d’autant le véritable revenu imposable.
Voilà ce qui explique que le vrai taux d’imposition de la milliardaire Liliane Bettencourt soit de seulement 14% de son revenu. Même Michel Sardou, bien qu’il fût longtemps domicilié à Miami, trouve normal de contribuer à l’effort national. En effet, rappelons à tous qu’il s’agit d’une taxe exceptionnelle d’une durée de deux ans. Au XVIIIe siècle, Condorcet pensait que « une taxe exceptionnelle, exigée une seule fois, si la crainte de la voir répéter, n’entre dans aucune spéculation, est réellement payée par celui-même à qui elle est directement demandée. »
Ensuite, on entend souvent les commentateurs, de droite évidemment, radoter que la France est le seul pays à avoir un impôt sur la fortune. Le seul… oui !… à côté du Luxembourg et de la Suisse ! « C’est la caractéristique de pays qui ont des points communs qu’on ne veut pas s’avouer » explique Olivier Riffaud, ancien inspecteur des impôts, devenu avocat fiscaliste.
Michel Taly, ex-directeur de la législation fiscale : « Pour les grands groupes, la France est aussi un paradis fiscal. »
Dans l’idéal libéral imaginé par Léon Walras au début du XXe siècle, l’impôt était destiné à être redistribué pour permettre à chacun de partir de la même ligne de départ. De sorte que chaque individu pût développer son véritable potentiel et son talent, au travers de cette course dont la ligne de départ est la même pour tous. L’impôt sur la fortune a, dès sa création, été défini comme un impôt taxant le stock de capital et non les revenus issus de son exploitation. Certains n’hésitent pas à dire que l’ISF taxe le capital « improductif. » En effet, la résidence principale est exonérée à 20% tout comme les biens professionnels. De plus, de nombreuses niches ont été créées pour que certains contribuables qui investissent dans l’économie soient exonérés d’une partie d’ISF.
Enfin, puisque les médias adorent regarder ce que nos voisins allemands font, on remarque que ces derniers imposent davantage les revenus issus du patrimoine que le patrimoine lui-même. Pourtant c’est la réussite que l’on devrait moins taxer et non la rente. Qui a tort dans cette histoire ? L’Allemagne qui taxe davantage l’exploitation du capital ? Ou la France qui lutte contre la reproduction des inégalités de patrimoine en taxant le stock ?
Les allemands imposent davantage les revenus du patrimoine que la France, car ils intègrent dans le calcul de l’impôt sur le revenu, les revenus issus de la possession du patrimoine. Dans le cas de « l’impôt solidaire » mis en place par Angela Merkel en 2009, tous les revenus situés au-dessus de 100 000 euros (salaire et patrimoine compris) sont imposés au taux de 48% contre 19% par exemple pour les plus-values immobilières.
Terminons cette partie technique sur l’impôt avec ce classement de l’attractivité fiscale établi par le cabinet Pricewaters-House Coopers. La France se situerait à la 55e place sur 183 tandis que l’Allemagne se classe à la 88e place. Michel Taly, ex-directeur de la législation fiscale (un des plus hauts postes à Bercy), le dit sans détour depuis qu’il est avocat au cabinet Arsène Taxand : « Pour les grands groupes, la France est aussi un paradis fiscal. »
La vérité sur les riches !
Pauvres riches pour qui la France viendrait sanctionner la réussite et l’appât du gain ! Pourtant, sur ces dix dernières années, ce sont bien les plus riches qui ont profité des fruits de la croissance. Pour information, pour faire partie des 1% des Français les plus riches, il faut gagner l’équivalent de 7654 euros net par mois. Sachant que 50% des salariés gagnent moins de 1675 euros…
« Pendant que des millions de Français éprouvent des difficultés à trouver un logement à un prix décent, le capital immobilier, lui, se concentre entre des mains de moins en moins nombreuses. »
Cette minorité d’enrichis un peu à part, qui représente à peine 500 000 citoyens, s’accapare 5.5% des revenus d’activité, mais surtout 32.4% du patrimoine grâce à la forte valorisation de l’immobilier et des valeurs boursières de ces dernières années. Pendant que des millions de Français éprouvent des difficultés à trouver un logement à un prix décent, le capital immobilier lui, se concentre entre des mains de moins en moins nombreuses. Et ce d’autant plus que, plus on monte dans la hiérarchie des revenus, plus la part des revenus issue du patrimoine augmente. Ainsi, le patrimoine constitue 48% des revenus des 0.01% les plus riches.
Petite question ? Qui a vu ses revenus augmenter plus vite que la moyenne au cours de ces dernières années ? Les 1% les plus riches… encore une fois ! Ainsi, 33% de la croissance des revenus déclarés entre 2004 et 2007, profitent à 10% des plus riches et les 0.1% profitent de 46% de la croissance totale !
Ce surplus de revenu a servi à alimenter la spéculation immobilière (la part des propriétaires a baissé depuis 10 ans, ce qui signifie une concentration accrue de la propriété foncière) et mobilière (notamment les actions) qui est socialement (et économiquement) inutile ou inefficace.
Autre idée pour laquelle il ne faut pas plaindre les riches… Alors que le taux de prélèvement direct moyen d’un ménage est de 14.2% du revenu initial et que l’ensemble des ménages s’acquitte d’un montant des impôts directs de l’ordre de 10.8% de son revenu disponible brut (après transferts et impôts), le taux d’imposition des revenus des personnes à très hauts revenus (1%) est de l’ordre de 20%. Vous en voulez encore ? Sachez enfin qu’un quart des plus aisés (0.01%) a un taux d’imposition inférieur à 15% et un autre quart supérieur à 35%. « Mais, pourquoi partiraient-ils ? La France est un paradis fiscal », nous explique, un rien provocant, Olivier Riffaud.
Le problème, c’est les riches !
Condorcet pensait que « l’existence des grandes fortunes est nuisible par elle-même ; qu’il est utile qu’elles se rapprochent de l’égalité. » Une problématique totalement omise dans le débat sur la fiscalité des riches, car c’est la question de l’utilisation du revenu des plus aisés qui doit être posée. Depuis les années 70, les baisses généralisées de l’imposition du capital et des très hauts revenus n’ont jamais eu les effets économiques escomptés et ont davantage creusé les inégalités. Une étude de Piketty (2011), montre que, au lieu d’avoir stimulé la croissance, la baisse des taux supérieurs de l’impôt sur le revenu a surtout favorisé la création d’une rente alimentant les marchés obligataires ou boursiers, ainsi que les bulles immobilières et renforçant la captation de la rente. Si l’on en croît une autre étude récente de deux économistes américains, de tels changements de fiscalité ont peu d’effets sur le comportement des riches. Dans cette étude, se focalisant sur l’entre-deux-guerres, le passage à des taux d’imposition « prohibitifs », de l’ordre de 70-80% sur la dernière tranche, ne semble pas avoir un réel impact sur le comportement des riches qui ne se mettent pas à arrêter de travailler ou d’investir.
« Si les Français veulent créer une société de progrès […] alors c’est l’ISF et l’impôt sur les successions qui doivent être mis en avant pour lutter contre la reproduction sociale. »
Si l’objectif, c’est de créer une société de rentiers, les Français ont alors raison de plaindre ces pauvres fortunes qui partent. S’ils veulent créer une société de progrès où chacun puisse avoir les mêmes chances de réussite en partant de la même « ligne de départ », alors c’est l’ISF et l’impôt sur les successions qui doivent être mis en avant pour lutter contre la reproduction sociale.
L’économie est un gâteau partagé entre les salaires et le capital. Depuis 30 ans, la part des salaires a baissé entre 3 et 5% tandis que celle du capital a augmenté dans les mêmes proportions. Une broutille de 55 milliards passée entre les mains des salariés vers ceux du capital sans effet favorable sur l’économie. Voilà le cœur du problème auquel chaque français devrait être attaché au lieu de défendre cette classe sociale à part, qui telle une oie, n’en finit plus de se gaver.
Pour les plus sceptiques d’entre vous, je vous laisse avec cette illumination de Paul Krugman, qui adresse un mea culpa salutaire pour s’être trompé pendant tant d’années sur la question des riches :
« Si vous voulez comprendre ce qui s’est passé concernant la distribution des revenus au XXIe siècle, vous devez arrêter de parler tellement de compétences et commencer à parler beaucoup plus de profits et de qui possède le capital. Mea culpa : je ne m’en suis rendu compte que récemment. Mais ceci est vraiment essentiel ! »