De l’attentat de Boston, beaucoup de choses ont été dîtes ; trop en vérité, mais trop souvent sans intérêt. Il ne sera nullement question, ici, du fond de l’affaire et encore moins de sa vérité dont il est su encore trop peu.
L’autocuiseur de la mort
En premier lieu, les moyens mis en œuvre par les auteurs semblent dérisoires. Il s’agit de bombes artisanales qui peuvent être assemblées sans grande compétence et qui ne nécessitent rien d’inaccessible, même à un amateur.
D’ailleurs, les pertes humaines sont en rapport. Le sang, la souffrance et l’horreur ne doivent pas nous aveugler. L’échelle ne diffère guère de celle d’un banal accident — après tout, il y a eu bien plus de morts au Texas, presque au même moment, lors d’un simple incendie.
« Alors que l’assassinat ou l’agression gratuite sont vécus comme des fatalités dont il faut s’accommoder, le terrorisme, lui, est ressenti comme un surgissement intolérable du mal. »
L’impact symbolique, en revanche, lui, est considérable. Certes, le lieu et le moment comptent pour beaucoup. Mais il est à craindre que les causes soient plus profondes. Les sociétés occidentales sont de moins en moins aptes à souffrir certains types de violence. Alors que la criminalité est importante et que la violence absurde se diffuse, seul le danger terroriste semble éveiller les consciences. Alors que l’assassinat ou l’agression gratuite sont vécus comme des fatalités dont il faut s’accommoder, le terrorisme, lui, est ressenti comme un surgissement intolérable du mal. Il n’y a bien sûr pas à condamner cette réaction ni même à la juger, mais il est nécessaire de s’interroger sur ses conséquences.
Urinoir for Colombin
Tout d’abord, elle provoque une sorte de sentiment de haine délirant à l’égard des auteurs. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de prôner une sorte de tolérance et de pardon universel. La haine est humaine, rien de ce qui est humain ne nous est étranger et la haine est parfois une vertu auxiliatrice de la violence légitime. Cependant, la haine ne doit pas être aveugle et ne pas devenir un obstacle à la justice.
L’abondance des photographies numériques, leur précision, qui permet de zoomer, et la rapidité avec laquelle elles se retrouvent en ligne (d’autant que l’attentat a eu lieu lors d’un événement sportif), ont permis à des millions de personnes de se faire enquêteurs et de scruter les visages, de décortiquer les scènes, de se livrer à l’analyse rétrograde avec une stupéfiante abondance d’indices, mais sans en avoir les méthodes.
Non seulement ceux qui s’y sont adonnés ont péché par incompétence, mais, au nom de la haine légitimitée par des médias qui font de l’émotion leur seule information, ils se sont crus tout permis et ils ont livré des innocents à la vindicte.
False false flag ?
Cependant, la recherche des indices matériels sur les images de la scène de crime par tout un chacun est souvent accompagnée d’un questionnement sur la motivation des auteurs. Déjà circule l’idée qu’il s’agirait d’un false flag. Bien sûr, rien ne le prouve, et le cui bono joue ici à plein contre les adeptes de la théorie du complot.
Cependant, les moyens militaires et juridiques mis en œuvre depuis lors par l’État américain (blindés déployés au moindre carrefour, etc.) ne peuvent qu’évoquer l’état d’exception au sens schmittéen. Cela ne peut être ignoré. Cela veut-il dire que l’État aurait les intentions que certains lui prêtent ?
Sans pousser le raisonnement trop loin, il semble évident que nous faisons face à un État — en tant qu’émanation d’une société — qui préfère inquiéter par sa force que par sa faiblesse ; remuer du vent plutôt que d’avouer être une baudruche prête à se dégonfler au premier coup d’épingle. Mais en répondant ainsi, les États-Unis ne donnent-ils pas plus de substance encore à ce qui les effraie ?