Chaque semaine, Clément Viktorovitch s’attarde sur les discussions et les implications politiques. Le dimanche 10 septembre, il s’est penché sur un terme que le président de la République utilise fréquemment : la bienveillance. Au premier abord, ce concept semble agréable, cependant, il semblerait qu’il dissimule potentiellement une forme de brutalité.
Le lexique d’Emmanuel Macron semble particulièrement attaché à l’usage du terme « bienveillance ». Au cours de sa campagne présidentielle de 2017, le mot était récurrent lors de ses réunions publiques où il saluait plutôt que de conspuer ses concurrents. Ce concept a également été retrouvé dans ses discours pendant la campagne de 2022 et faisait partie de son allocution suite à sa réélection. La preuve en est : le président a utilisé ce mot à six reprises durant une interview réalisée par Hugo Travers, un journaliste, sur la plateforme Youtube. Il a partagé ses opinions, prétendant vouloir intégrer davantage de bienveillance dans l’écosystème scolaire et universitaire, plaider pour la bienveillance et la sérénité et aspirer à une école bienveillante.
D’après Emmanuel Macron, la bienveillance se doit d’être omniprésente : au sein du gouvernement, dans la politique d’éducation ; dans le système d’enseignement, vis-à-vis des élèves et des étudiants ; l’engagement envers la bienveillance est également requis des familles, notamment dans le cadre du sujet de la laïcité.
## Comment se positionner face à cela ?
En toute logique, il est très difficile de s’opposer à la bienveillance. En réfléchissant à ses antonymes comme la malveillance, la méchanceté, la cruauté ou même la haine et la perversité, on se demande quel politicien pourrait se revendiquer de ces valeurs. Il n’existe pas dans l’histoire humaine un dirigeant démocratique, ou même un dirigeant tout court, qui aurait ouvertement fait le choix de causer la douleur de son peuple. Il semble évident que de tels mots sont des concepts fédérateurs. Ce sont des termes agréables, mais globalement vides. Ils pourraient certes être définis et leurs effets concrets expliqués. Cependant, ce n’est pas le cas ici : quand Emmanuel Macron se dit pour la bienveillance, il pourrait tout aussi bien dire qu’il est pour la paix et qu’il est contre le cancer.
Cela fait naturellement partie du discours politique typique et Emmanuel Macron n’est pas le seul à utiliser ce mot. Il faut cependant garder en tête qu’un concept peut être politique sans pour autant s’inscrire dans une perspective politique, tout en ayant des conséquences importantes sur la pratique. En particulier, l’idée de se cacher derrière la bienveillance suggère que ceux qui ne sont pas d’accord avec vous sont agressifs ou violents.
Il n’est pas fortuit que l’emploi de ce terme provient à l’origine du domaine du management. Préconiser la bienveillance au sein des entreprises est avant tout un moyen pour éviter les conflits, typiquement naturels, entre les employés et les employeurs. D’après un article publié dans la Harvard Business Review en juillet 2019, le « management bienveillant » est essentiellement « un instrument véritablement efficace au profit du rendement de la compagnie ». La bienveillance est la rhétorique déployée par ceux qui souhaitent maintenir le statut quo, dans le but de contester l’expression de conflits et de luttes.
## Est-ce seulement une tactique politique ?
Je suis convaincu que c’est plus complexe : il s’agirait presque d’un refus de la politique. Qu’est-ce que la bienveillance signifie réellement ? Le mot provient du latin « benevolentia », ce qui signifie souhaiter le bien d’autrui. Ce qui suggère par définition de prétendre savoir ce qui est bénéfique pour l’autre. Or, la politique est par essence un domaine de conflit. Les questions politiques nécessitent de trancher un désaccord. En politique, il n’existe pas de bien et de mal, de bienveillance et de malveillance. Il n’y a que des rapports de force légitimes entre des principes et des intérêts contradictoires. Exiger de ceux qui ne sont pas d’accord avec vous d’être bienveillants est donc en soi une forme de violence paradoxale.
Interrogeons-nous sur les pensées d’Emmanuel Kant sur le sujet. Dans son essai intitulé « Sur le lieu commun », il écrit : « Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants », où les individus seraient traités comme « des mineurs, incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible », « est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir ». Ses mots sont sans doute un peu durs. Cependant, nous pourrions les garder en mémoire, la prochaine fois qu’un leader revendique la bienveillance.