Chaque semaine, Clément Viktorovitch nous offre son analyse sur les discussions politiques ainsi que leurs conséquences. Ce Dimanche 1er octobre, l’éventuelle modification de notre Constitution est l’objet de plusieurs interrogations qui alimentent l’actualité, la première d’entre elles étant un éventuel référendum concernant l’immigration.
Le journaliste Philippe Bernard, écrivant pour Le Monde, a attiré notre attention sur une déclaration passée jusque-là inaperçue. Cette affirmation était contenue dans la lettre adressée par Emmanuel Macron aux dirigeants des partis politiques, suite à la rencontre de Saint-Denis en août. Macron y disait : « La problématique de l’immigration sera abordée, d’une part, au Parlement, (…) d’autre part, à travers la question du référendum et des modifications constitutionnelles éventuelles. » Cette déclaration inattendue du président de la République laisse envisager une éventuelle réalisation d’une vieille revendication du Rassemblement national et, désormais, des Républicains : la tenue d’un référendum sur l’immigration.
Cependant, on peut douter de la possibilité de réaliser un tel référendum. Selon des experts en droit, tels que Dominique Rousseau, professeur à l’université de Paris 1, ou Didier Maus, ancien président de l’Association française de droit constitutionnel, la tenue de ce genre de référendum nécessite de passer par l’article 89 de notre Constitution qui permet précisément de la modifier.
Organiser ce référendum semble être un véritable défi. En effet, avant de pouvoir soumettre un amendement constitutionnel à la votation populaire, il faut s’assurer que le texte a été approuvé dans les mêmes termes par les deux assemblées. Contrairement aux lois normales, le vote du Sénat est indispensable. Or, le Sénat est aujourd’hui dominé par une large majorité de droite. A chaque fois qu’Emmanuel Macron a voulu modifier la Constitution depuis le début de son mandat, il s’est heurté à l’opposition des sénateurs LR. Ils ont imposé des conditions toujours plus contraignantes jusqu’à ce que Macron recule. C’est ce qui s’est produit pour la réforme des institutions et pour l’inscription de l’écologie parmi les principes de la République. La même chose pourrait se produire pour l’immigration, étant donné l’ampleur des exigences déjà émises, ce qui rend difficile pour Macron de concéder une telle victoire à l’opposition.
Manœuvre politique
En insérant cette petite phrase dans sa lettre, le président français s’engage dans une stratégie politique. Il est possible qu’Emmanuel Macron feigne de considérer un référendum sur l’immigration, tout en sachant que cela n’aboutira probablement pas, afin de pouvoir rejeter l’échec sur la droite sénatoriale. Cela rappelle la stratégie utilisée par François Hollande lorsqu’il avait tenté, sans succès mais délibérément, de changer la Constitution pour tenir l’une de ses promesses: le droit de vote des étrangers aux élections locales. Cela conduit à chaque fois au même résultat : l’affaiblissement de la confiance des citoyens en l’efficacité de l’action publique. A force de promettre des révisions constitutionnelles dont chacun sait qu’elles n’aboutiront pas, cela nourrit l’idée que les dirigeants politiques sont impuissants.
Il y a aussi un problème démocratique. Le système de vote pour le Sénat favorise les petites communes rurales. Or, elles ont toujours plus voté à droite que le reste de la population. Notre chambre haute est donc structurellement avantageuse pour les partis de droite. En 65 ans de Ve République, le Sénat n’a eu une majorité à gauche que pendant trois courtes années, de 2011 à 2014. Par conséquent, il est très difficile pour un gouvernement qui n’est pas de droite de réussir à modifier notre Constitution. Nicolas Sarkozy a réussi une révision majeure en 2008. François Hollande a dû se contenter d’une réforme modeste centrée sur la lutte contre le terrorisme. Emmanuel Macron, jusqu’à présent, n’a pas réussi à faire passer de modifications constitutionnelles.
Revoir les règles de révisions constitutionnelles ?
Ce n’est pas nécessairement une bonne idée : il faut rester prudent. Une Constitution est censée offrir des garanties de stabilité et de respect des droits fondamentaux aux citoyens, ce qui exige qu’elle ne soit pas modifiée trop fréquemment. Cependant, il n’est pas normal qu’un camp politique détienne, effectivement, le monopole des révisions constitutionnelles d’envergure, surtout un camp qui n’obtient pas plus de 5% des votes présidentiels, mais qui contrôle toujours le Sénat.
Si nous commencions par réformer le processus électoral pour le Sénat et que nous nous abstenions d’utiliser les projets de révision constitutionnelle comme des outils de propagande électorale, cela pourrait déjà améliorer notre vie démocratique et notre débat public.