La mort mardi de l’homme politique français de droite Jean-Marie Le Pen a fait resurgir de sombres souvenirs pour de nombreuses personnes en Algérie, où il était accusé d’avoir recours à la torture pendant la guerre d’indépendance. Il a également chahuté avec son rejet des migrants, sa position sur l’islam et sur le rôle colonial de la France dans ce pays d’Afrique du Nord.
L’engagement de Jean-Marie Le Pen en Algérie a commencé au milieu des années 1950.
Fraîchement élu député, il quitte la France à l’âge de 27 ans pour combattre comme parachutiste contre la lutte d’indépendance du pays vis-à-vis de la France.
« J’ai senti que c’était mon devoir d’y aller avec le contingent car, au fond, j’étais d’accord pour préserver cette partie de la France », dit-il à propos de cette période.
Là, il a été accusé de torture. S’il niera plus tard ces accusations, il n’a pas nié l’existence de ce type de pratique.
« S’il faut torturer un homme pour en sauver cent, la torture est inévitable et donc, dans les conditions anormales dans lesquelles on nous demande d’agir, elle est juste », aurait déclaré Le Pen dans un communiqué. Le Monde, en 1957.
Le correspondant de 42mag.fr Fayçal Metaoui cite les témoignages oculaires de Mohamed et Dahmane, deux vétérans algériens, qui ont témoigné contre Le Pen dans un documentaire diffusé en 2017.
« Ils ont enlevé le matelas, nous ont attachés mon père et moi au sommier… et puis ils ont mis l’électricité en marche. Et c’est Jean-Marie Le Pen qui a actionné l’interrupteur. C’était Jean-Marie Le Pen ! C’était lui le leader. des tortionnaires du Fort l’Empereur ! », disaient les hommes.
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Souvenirs douloureux
Farida, pharmacienne, évoque également la présence de Le Pen dans les années de guerre en Algérie. « Jean-Marie Le Pen était une personne vilipendée et détestée par les Algériens en raison de son sombre passé. Pendant l’occupation française, il a pratiqué la torture contre les Algériens de manière horrible », dit-elle. « Il a essayé de ne pas admettre ses crimes, mais il existe des témoignages et des preuves qui confirment ses actes. »
Kamel, enseignant, accuse le fondateur du Front national de promouvoir le racisme. « Ces pratiques odieuses durant la guerre de libération nationale sont gravées dans les mémoires des générations d’aujourd’hui et cela ne s’arrête pas là. Depuis, Le Pen a grandement contribué à construire une opinion hostile aux migrants en France et à répandre la haine contre les étrangers dans ce pays. »
Le séjour de Le Pen en Algérie sera déterminant pour la suite de sa carrière politique. C’est avec des partisans de l’Algérie française et d’anciens collaborateurs des nazis allemands qu’il crée le Front national en 1972.
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Pour l’historien français Benjamin Stora, « Le Pen est fondamentalement un homme de la Quatrième République, et c’est le moment où l’empire colonial vacille ».
Arrivée trop tard pour la guerre d’Indochine, Le Pen entendait se rattraper en Algérie, explique Stora dans un entretien à FranceInfo mardi.
« Toute la mémoire politique (de Jean-Marie Le Pen) est celle de la nostalgie, d’une grande France d’empire, qui selon lui aurait été trahie et abandonnée par les différents dirigeants politiques français ».
Anti-immigration
L’obsession du parti de Le Pen était l’immigration, notamment en provenance d’Algérie, un sujet qu’il a mis au premier plan du débat politique français à partir des années 1980.
Le Pen a été condamné à de nombreuses reprises pour ses propos racistes et discriminatoires au fil des années.
En 2005, il a par exemple été condamné en appel à 10 000 € d’amende pour incitation à la haine raciale après des propos tenus dans une interview au journal. Le Monde le 19 avril 2003.
« Le jour où nous aurons en France, non plus 5 millions mais 25 millions de musulmans, ils seront aux commandes. Et les Français se glisseront le long des murs, quitteront les trottoirs et baisseront les yeux », a-t-il déclaré dans l’interview.
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Il a été condamné à verser 10 000 € de dommages et intérêts à l’Union des étudiants juifs de France pour ses propos tenus en 1996 : « Je crois aux inégalités raciales. Oui, bien sûr, c’est évident. Toute l’histoire le démontre. Ils n’ont pas la même capacité ni le même niveau d’évolution historique », a-t-il déclaré.
Ailleurs en Afrique, Le Pen a reçu des critiques mitigées et s’est retrouvé en désaccord avec la plupart des dirigeants.
Il n’a jamais caché son admiration pour le système d’apareid sud-africain et a été accusé d’avoir reçu de l’argent du président gabonais Omar Bongo en 1987, une accusation qu’il a niée.
Finalement, ce n’est qu’avec Jean-Bedel Bokassa que Jean-Marie Le Pen entretenait un semblant de relation. Il a rencontré le dirigeant centrafricain déchu en France au début des années 1980. Les deux hommes partageaient un passé commun, celui de combattre dans la guerre d’Indochine au sein de l’armée française.