Du 27 au 30 décembre 2012, une fusée s’est posée sur le parvis du Centre des Congrès de Hambourg. Colloque d’un syndicat allemand de l’aérospatial ? Non, simplement l’emblème grandeur nature du Chaos Computer Club l’association qui organise chaque année le Chaos Communication Congress, l’un des plus gros rassemblements de hackers au monde. L’occasion donc pour 42mag.fr de se pencher sur la figure du hacker version 2.012. Utopiste réaliste, chevalier de la transparence, Saint patron des whistleblowers (“lanceurs d’alerte”), fondamentalement de gauche, partisan d’un militantisme concret et indépendant, anarchiste sur les bords : portrait d’un animal politique.
« Surveillance en Russie, » « Les Hackers romantiques : Keats, Wordsworth et la surveillance de masse, » « Longue vie au protocoletariat ! »… Un rapide coup d’œil au titre des conférences données au 29c3 – nom de code du 29ème Chaos Communication Congress – suffit à suggérer qu’on est à Hambourg bien loin des hackers des films américains et des interviews un peu flippantes d’Envoyé Spécial. Ni autiste, ni criminel masqué, le hacker est ici un activiste bien décidé à organiser la résistance contre une société qui utilise la technologie pour contrôler et porter atteintes aux libertés de ses citoyens.
Hacktiville
Du geek bidouillant des ordinateurs, le hacker est devenu militant et se bat sur de nombreux fronts politiques. Des formations issues de l’hacktivisme ont ainsi émergé, inscrites ou non dans un cadre légal. Parmi les initiatives les plus célèbres, on retrouve l’Electronic Frontier Foundation et la Quadrature du Net, qui défendent les droits des utilisateurs du web, WikiLeaks, qui offre la possibilité aux wistleblowers de publier de manière anonyme des documents d’intérêt général, ou encore Telecomix, le regroupement de hackers souvent perçu comme le jumeau intelligent et raisonné du décousu Anonymous, qui a permis aux révolutionnaires du Printemps arabe d’obtenir des accès Internet de fortune lorsque les gouvernements bloquaient les connections.
Ni autiste, ni criminel masqué, le hacker est ici un activiste bien décidé à organiser la résistance contre une société qui utilise la technologie pour contrôler et porter atteintes aux libertés de ses citoyens.
Si de la bataille contre ACTA – victoire emblématique de l’année 2012 pour les hackers – à la protection des whistleblowers, les combats politiques des hacktivistes semblent disparates, il existe selon Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, qui a donné au 29c3 une conférence sur les droits des internautes et organisé des ateliers autour de la question des droits d’auteurs, des paramètres communs :
« Les paramètres communs sont ceux des rapports de notre société – et donc des individus – face à la technologie, et la compréhension de la technologie. Il y a un rapport de force autour de cette notion de connaissance de la technologie. C’est l’éternelle question : Est-ce l’homme qui maîtrise la technologie ou est-ce la technologie qui maîtrise l’homme ? Cette question est centrale. Est-ce qu’on va laisser la technologie être utilisée pour contrôler les individus, et donc se soumettre à la technologie ? Ou va-t-on continuer à jouer avec ? A la détourner ? Un hacker cherche et va jouer pour trouver les réponses. »
Rassemblé autour de l’ironique thème « Not my department », qui appelait les hackers rassemblés à Hambourg à assumer leurs responsabilités politiques, les participants au congrès se rendent à des conférences, participent à des ateliers, mais surtout se retrouvent autour des nombreux espaces de discussions pour créer et développer des projets.
Anarchie et ClubMate
Un ClubMate (l’infâme concoction caféinée auxquelles les hackers se doivent de carburer) à la main, ces geeks de tout âge discutent cryptage informatique, protection des données, surveillance mais aussi communication. Comment faire comprendre au citoyen lambda les implications de la perte de contrôle sur ses propres données ? D’une connexion sans anonymat ? 2012 aura été marquée de ce point de vue par les « crypto-parties, » des meetings où quelques amateurs de cryptage informatique se rassemblent pour enseigner à tous les méthodes basiques de cryptage. 29c3 était donc l’occasion pour certains des organisateurs de se retrouver. Australie, Pays-Bas, Angleterre… Les législations varient mais les objectifs politiques des hackers restent les mêmes : garantir la neutralité du net et la possibilité de l’anonymat, afin de conserver le contrôle de la technologie.
Et pour conserver ce contrôle, la solution se résumerait selon Jérémie Zimmermann à deux principaux axes : « L’utilisation conjointe d’un internet libre et ouvert et l’utilisation de logiciels libres sont les prérequis essentiels pour une société libre et démocratique dans un environnement interconnecté. Ce sont les deux piliers qui vont pouvoir nous permettre de protéger nos libertés fondamentales en ligne. »
C’est donc sur ce fameux appel à la responsabilité que Jacob Appelbaum, un des développeurs et porte-parole du logiciel d’anonymat en ligne Tor, a entamé le congrès lors de son discours d’inauguration. « Chacun est par essence un être politique et nos actions sont des choix politiques. J’appelle donc les gens à ne pas nier leur liberté politique », explique Jacob Appelbaum lors d’une interview accordée à 42mag.fr, suggérant ainsi que le hacker ne serait, après tout, qu’un animal politique comme un autre. « Le Chaos Communication Congress est toutefois un endroit à part, qui diffère d’autres congrès de hackers. C’est un espace d’anarchie complet dépourvu de frontières, de poste de contrôle et c’est en même temps un espace de paix, où il n’y a pas d’agression, où les gens se sentent responsables », poursuit Jacob Appelbaum.
« Chacun est par essence un être politique et nos actions sont des choix politiques. J’appelle donc les gens à ne pas nier leur liberté politique », explique Jacob Appelbaum.
Il faut sauver les lanceurs d’alerte
Et cette responsabilité Jesselyn Radack, ancienne conseillère aux questions d’éthique du Ministère de la justice américaine devenue whistleblower après avoir exposé des cas de tortures aux Etats-Unis, en est reconnaissante. Pour elle, la figure du hacker se confond avec celle du whistleblower. « Beaucoup de gens ne se considèrent pas comme des whistleblowers, après tout ils ne font que mettre à jour des méfaits, c’est l’Etat qui impose l’étiquette ‘whistleblower.’ WikiLeaks va d’ailleurs au-delà en exposant par exemple des crimes de guerre. Les hackers protègent les whistleblowers parce qu’ils s’inscrivent dans la même démarche de dénonciation. »
Plusieurs milliers de hackers se sont rendus dans la salle principale pour écouter son récit, ainsi que celui de Thomas Drake et de William Binney, deux lanceurs d’alerte anciennement employés à la National Security Agency. À la sortie de la conférence, les trois whistleblowers passeront plusieurs heures à répondre aux questions de quelques hackers admiratifs. « C’est normal, souffle l’un d’eux. Ils savent très bien que c’est parce qu’on est là pour partager leurs histoires qu’ils sont en vie. »