Ainsi, dans trente siècles, vos descendants, ô Veaux de l’Or et Chevaliers de l’Ordre du Saint-Pognon, se souviendront du jour où votre guide descendit de la Sainte-Montagne, de cet autel sacré où Mammon vous dicta ses Dix Commandements, le Décalogue du Capital et du Libéralisme.
Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir de l’Erreur, de l’Idéologie.
I. Tu n’auras pas d’autres dieux que Moi, Mammon, Maître du Monde et des Monnaies, Dieu des Marchés ouverts, du Saint-Fric et de l’Exil fiscal ;
II. Tu multiplieras les images taillées, peintes, filmées, tu démultiplieras mes cent mille millions de visages rutilants et de clinquantes représentations, et tu répandras partout les éclats de fer, de papier, de plastique et de fichiers numériques, de Mon culte, en haut dans les Cieux, en bas sur la Terre et jusque dans les eaux plus bas que la Terre ;
Tu te prosterneras devant Moi et Ma face plurielle ; Moi, Mammon l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punit l’égalité entre serfs et Seigneurs, en cascade des pères aux fils et jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent ; et qui fait miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui se donnent des ablutions de billets verts et figurent chaque année dans Forbes, qui m’aiment et qui gardent mes commandements !
III. Tu invoqueras le nom de Mammon l’Éternel, ton Dieu, en vain, pour tout et rien ; car Mammon l’Éternel punira ceux qui n’invoquent pas ses mille noms : Pognon, Concurrence, Compétitivité, Liberté d’entreprendre, Antifiscalisme, Dumping social, Antipatriotisme, Croissance, Dumping fiscal, Ouverture des marchés, Privatisation, Bakchich, Passe-droits, Corruption.
IV. Souviens-toi du jour du repos, pour en jouir d’autant plus fort que tu feras marner même ce jour les serfs – car ils n’ont pas d’âme ! – tandis que tu joueras au golf ou t’adonneras à la prostitution avec toutes les Lilith mineures sacrées par mon Sang-le-Pognon, car tandis que tu marcheras dans l’Ombre de la Vallée de la Loi et des Tribunaux de l’Etat, je te protégerai de ma manne de fric et d’impunité ;
Tu travailleras six mois par an et feras travailler ton pognon – et tes serfs plus encore, et tu feras faire tout ton ouvrage aux armées de serfs sans âmes et à mes prêtres merdiatiques ;
Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, contrairement à ton serviteur, ta servante, tes serfs et tes esclaves. Car en six jours Mammon a fait les cieux de la finance, la terre merdiatique où ses prêtres en chaire dispensent sa Vérité, et il s’est reposé le septième jour, à jamais : c’est pourquoi l’Éternel Mammon a béni le jour du repos du winner et l’a sanctifié.
V. Déshonore et répudie ton père et ta mère, piétine et conchie ton quartier, ta région, ta culture, ton pays, et exulte : libre, sans famille, sans patrie ni passé, tu es mon fidèle, mon élu ; ne te retourne pas, afin que tes jours se prolongent dans le pays d’or et d’exemption fiscale que l’Éternel, Mammon, te donne.
VI. Tu tueras quiconque se mettra en travers de tes intérêts, ou laisseras mourir ceux qui s’y opposent ou n’y apportent aucun surcroît.
VII. Tu commettras l’adultère, goûteras aux délices de la luxure avec autant de femmes ou d’hommes avec qui tu pourras partager ta couche ; tu goûteras les délices de la prostitution et des call-girls ou des mineures, à Bangkok, Acapulco ou sur le périphérique.
VIII. Tu déroberas les hommes et les femmes, les enfants et les anciens, les peuples et les nations, les ressources de la nature ; et tu corrompras les hommes et les femmes, les enfants et les anciens, les peuples et les nations, les présidents, les fonctionnaires, les policiers, les humanitaires ; et tu accumuleras encore et encore et encore, jetant des tours jusqu’au ciel pour atteindre Mon royaume.
IX. Tu porteras de faux témoignages contre ton prochain, tu mentiras et écraseras quiconque menacera ta course vers le ciel où Je suis ; tu calomnieras et jetteras à la pâture des tribunaux qui tu voudras, afin que personne ne vienne entamer cette pyramide, cette montagne de billets verts, ces tours sans fin, témoignages de ta mystique, de ton ascension vers Ma grandeur.
X. Tu convoiteras la maison de ton prochain ; et tu convoiteras la femme de ton prochain, son serviteur, sa servante, ses laquais, ses cerveaux disponibles, ses serfs et ses cons-sots-mateurs, ses bœufs et ses ânes hypnotisés par l’apostolique journaille aux ordres et tout ce qui appartient à ton prochain et à ton lointain ; tu convoiteras aussi leur voiture, leur maison, leur villa, leur valetaille, leur hélicoptère, leur yacht, leur gratte-ciel – et chercheras à les surpasser en possédant davantage ! – et tu montreras qui c’est qu’a le plus gros.