Née à Londres, Jane Birkin a déménagé à Paris dans la vingtaine et n’est jamais partie. Alors qu’on se souvient d’elle à l’étranger principalement comme la femme qui gémissait sur un duo érotique avec Serge Gainsbourg, au cours d’une carrière de 50 ans, elle s’est jetée dans la tradition musicale française et s’est taillée un espace unique au sein de la chanson française.
« Bien sûr, les gens se souviennent de ‘Je t’aime’ et c’est bon de se souvenir de quelque chose », a déclaré Birkin à propos de son plus grand succès international.
« Je sais que, quand je mourrai, aux nouvelles, c’est le disque qu’ils joueront alors que vous sortirez les pieds en premier. »
Cette semaine, elle a eu raison, alors que les radiodiffuseurs du monde entier – y compris 42mag.fr – ont enregistré leur couverture de sa mort avec ces notes d’ouverture évocatrices : dun-dun-da-duuun…
La musique était celle de Gainsbourg, mais c’est la performance haletante de Birkin qui a donné à « Je t’aime… moi non plus » (« Je t’aime… moi non plus ») son pouvoir de choquer, même aujourd’hui.
Interdit par la BBC et déploré par le Vatican, le disque de 1968 a rendu le duo – partenaires dans la vie comme dans la musique – notoire dans le monde entier.
Mais alors que les critiques musicaux accordaient au moins autant d’attention aux autres réalisations de Gainsbourg, pour beaucoup, Birkin resterait synonyme de sa toute première chanson.
« C’était comme avoir un casier judiciaire », dira Birkin à 42mag.fr des années plus tard. « A partir de ce moment-là, j’étais Jane ‘Je t’aime’ Birkin. »
Le préféré des Français anglaise
Sa carrière musicale était, en fait, bien plus que cela – sans parler de sa carrière au cinéma, qui l’a vue travailler avec des réalisateurs tels que Michelangelo Antonioni, Michel Audiard, Jean-Luc Godard, Jacques Doillon et Agnès Varda, ainsi que se diriger elle-même.
Elle était également actrice de théâtre, dramaturge et, surtout en vieillissant, militante humanitaire.
Chronologie interactive : Jane Birkin, une vie en chanson
Mais elle était avant tout une célébrité française – comme les journaux aimaient à l’appeler, « l’Anglaise préférée de la France ». S’adressant au journal britannique The Independent en 2013, Birkin s’est décrite comme « faisant partie du mobilier » en France, et « absolument pas même du mobilier de jardin en Angleterre ».
Ce n’était pas que Birkin était un choix naturel en France, du moins pas au début. Dans une interview de 1978 avec 42mag.fr English, elle décrit avoir été réprimandée par des Parisiens dans la rue pour avoir porté des jupes courtes ou osé sortir sa petite fille sans gants. (Charlotte Gainsbourg a apparemment refusé de les porter.)
Elle a également fait part de sa frustration de ne pas pouvoir s’exprimer spontanément en français : « Parler anglais me manque », a-t-elle confié aux deux journalistes que 42mag.fr a dépêchés pour l’interviewer, un Britannique, un Irlandais. « Je parle en quelque sorte français-anglais – quiconque ne parle pas français pense que c’est merveilleux, quiconque parle français réalise que c’est assez pourri. »

Être quelque peu déplacé, cependant, faisait également partie de l’appel. « J’adore vivre à Paris. Mais aussi je ne pouvais pas emmener Serge ailleurs parce qu’il est tellement français… Je ne pouvais pas l’emmener soudainement en Angleterre et m’attendre à ce qu’il vive là-bas parce qu’il se sentirait un peu mal à l’aise, alors que j’aime plutôt être emmenée ailleurs », a déclaré Birkin, alors âgée d’une trentaine d’années et toujours en couple avec Gainsbourg.
« J’ai toujours aimé être dans les trains avant d’arriver à destination, juste le trajet. Et donc j’aime ça, j’aime avoir l’excuse de ne pas être dans mon propre pays. Vous vous sentez beaucoup plus libre. J’aime beaucoup. »
Une voix bien à elle
Pour les Français aussi, le charme de Birkin résidait dans son caractère étranger. Les jupes courtes et les cheveux ébouriffés ont peut-être choqué certains Parisiens primitifs, mais pour d’autres, ils symbolisaient le Swinging London. Et à une époque où la capitale britannique était l’épicentre de la nouvelle culture pop, voilà un Britannique qui avait choisi la France.
Vous le voyez dans la fixation avec l’accent anglais de Birkin quand elle parlait français – qui, avec Gainsbourg et « Je t’aime… », était l’autre sujet garanti à venir dans les interviews.
« Ce n’est absolument pas si mal que ça », a-t-elle répondu avec bonne humeur lorsqu’un énième intervieweur français lui a demandé si elle n’en mettait peut-être pas, juste un peu. « N’avez-vous pas remarqué mes R ? J’ai mal à la gorge à force de les faire. Franchement, je pense avoir fait des progrès remarquables.
On aurait pu lui pardonner de l’avoir mis, étant donné que cela faisait partie de ce qui rendait sa voix si reconnaissable – douce, féminine, un peu fragile, et avec cet accent particulier qui ne ressemble pas vraiment à la façon dont les Londoniens parlent aujourd’hui, apparemment figé dans l’ouest aisé de Londres des années 1960.

Pour le critique musical Bertrand Dicale, Birkin avait une façon de transformer ce que certains considéreraient comme des défauts en caractéristiques déterminantes.
« Elle avait cette capacité extrêmement rare de ne pas apparaître comme une chanteuse », a-t-il déclaré à 42mag.fr cette semaine. Comme ils l’avaient fait avec Edith Piaf et Charles Aznavour, a-t-il déclaré, « les gens disaient: » Birkin n’est pas une chanteuse, elle est désaccordée, elle ne chante pas vraiment, elle murmure juste … « Donc, son chant est remis en question au début, alors qu’en fait c’est l’une des techniques de chant les plus uniques et les plus fructueuses qui soient. »
« Le co-conspirateur de Gainsbourg »
Gainsbourg a vu quelque chose de similaire en elle. C’est lui qui a encouragé le jeune acteur à se mettre au chant et qui a écrit album après album de matériel pour elle.
« J’ai toujours eu la chance de rencontrer des gens qui étaient plus ambitieux pour moi que je ne l’étais pour moi-même », a déclaré Birkin à 42mag.fr en 2021. « Et j’en ai profité au maximum. Serge pensait que je pouvais chanter, que j’avais une fragilité qui portait ses mots d’une manière qu’il ne pouvait pas, et il m’a donné des paroles parmi les plus merveilleuses.
Birkin est inévitablement décrite comme la muse de Gainsbourg, et elle a peut-être commencé ainsi – jouant la « baby doll » à la perfection sur « Je t’aime… » et son album qui l’accompagne, puis inspirant l’album concept d’une beauté sombre de Gainsbourg « Histoire de Melody Nelson », sur lequel elle n’avait guère plus à faire que chanter des refrains et poser pour la pochette.
Mais au moment où elle sort son premier album solo « Di doo dah » en 1973, une collaboration créative prend forme. Gainsbourg a écrit toutes les chansons, mais elles s’inspirent clairement des propres expériences de Birkin et sont chantées avec une intimité et un naturel qui font qu’il est difficile d’imaginer que quelqu’un d’autre leur donne une voix – même Gainsbourg lui-même.
Le duo a continué à faire cinq autres albums ensemble du vivant de Gainsbourg, ainsi que plusieurs réarrangements de son matériel que Birkin a sorti après sa mort en 1991.
« Le mot » muse « implique une certaine passivité qui vend Birkin désespérément court : elle se sentait beaucoup plus comme la co-conspiratrice de Gainsbourg », a écrit cette semaine le critique musical britannique Alexis Petridis. « C’est Birkin qui a façonné l’image emblématique de Gainsbourg aujourd’hui. Il semblait qu’il n’y avait rien qu’il puisse trouver contre lequel elle rechignerait.
Des collaborations variées
Les dernières années de Birkin l’ont vue collaborer avec d’autres artistes de France et du monde entier, dont Alain Souchon, Françoise Hardy, Manu Chao, Bryan Ferry, Yosui Inoue, Beth Gibbons et Feist.
« C’était une femme tellement sensible et tendre », se souvient l’auteur-compositeur-interprète Alain Chamfort, qui a travaillé avec Birkin alors qu’elle s’aventurait pour la première fois au-delà de Gainsbourg dans les années 1990. « Elle interprétait des chansons avec une telle délicatesse et une telle précision, une telle subtilité. »
Alors que ses collaborations anglophones l’ont amenée à expérimenter différents styles musicaux, Birkin semblait plus à l’aise dans la chanson française – pop poétique, théâtrale, douce-amère.

C’est à cette tradition qu’elle est revenue lorsqu’elle a commencé à écrire ses propres chansons. Elle a écrit les paroles de ses deux derniers albums studio, « Enfants d’hiver » en 2008 et « Oh ! Pardon tu dormais… » (« Oh désolé, tu dormais ») en 2020, avec des compositeurs français comme Étienne Daho pour la musique.
Certains s’étonnaient que l’éternel petite anglaise avait écrit directement en français. « Je pense qu’en français maintenant, probablement », a déclaré Birkin à 42mag.fr en 2004.
Elle avait parcouru un long chemin depuis qu’elle avait raté l’occasion de parler anglais et qu’elle était considérée comme « juste » la partenaire de Gainsbourg.
Lorsqu’un autre intervieweur de 42mag.fr lui a demandé si écrire les chansons des « Enfants d’hiver » était sa façon de faire le deuil de Gainsbourg, Birkin a répondu : « Non, parce que d’abord je ne veux faire le deuil de personne. Pour moi, les gens sont toujours là – vraiment très présents. Il est assis là, sur la plage, et mon père et ma mère aussi. Je les imagine partout.
Sa réponse est d’autant plus poignante aujourd’hui : « Je ne veux pas mettre les gens dans des trous et leur dire que c’est fini.
Des funérailles privées auront lieu au Saint Roch église de Paris le lundi 24 juillet. La cérémonie sera retransmise en direct sur écran géant à l’angle de la rue Saint-Honoré et de la rue des Pyramides.