Propos recueillis en 2013.
Le rap « jeu » s’incarne avec Seno. À l’approche de la quarantaine, micro à la main, le « Sale Blanc » se délecte. Un rap brut, des propos doux. Quand on passe au dessert, le Normand change la bouteille de cidre ! En attendant une galette courant 2013, petit menu casher : l’identité, le rap, Twitter, la droite et Doc Gynéco.
L’année dernière, tu as repris un son de Booba (Cruella) pour en faire un couplet intitulé « Jewish money. » Sur ton mini-album 2.0, tu as fait un titre intitulé « Kosher nostra » et ta chaîne YouTube s’appelle maconniquemusic. Tu penses que la « question juive » pose problème dans le rap français ?
Non… Non, non. Pourquoi ? Tu penses que ça pose un problème ?
Tu essaies de jouer un peu avec la fibre du complot judéo-maçonnique…
J’utilise ça, c’est vrai. Mais j’utilise ça au second degré de toute façon. Je ne suis pas premier degré : « On y va à fond les ballons ! » Aujourd’hui si je fais du rap, c’est pour m’amuser. C’est un plaisir. Et si j’ai envie de jouer avec des délires judéo-maçonniques, comme tu dis, ça peut être un truc…
Tu as été satisfait de la réponse de Booba, lors de notre interview, sur cette question ?
Ouais, j’ai trouvé ça cool. Dès que nous avons vu ça, avec Fizzlen mon manager, nous avons voulu réagir. En disant « si j’étais juif, j’aurais une grosse maghen (étoile) David bling-bling », j’ai pensé au shooting photos que j’avais fait quelques mois avant, avec justement une maghen David bling-bling et deux grosses chaines. Dans les minutes qui ont suivi votre interview, nous avons affiché cette photo pour montrer que nous avions aussi pensé à ça. Mais avant que Booba balance cette phrase ! Et non pour suivre ce qu’il avait dit. On avait déjà préparé notre coup, on attendait juste le bon moment.
Tu penses qu’il est important d’afficher son identité dans le rap ?
Ça dépend ! Si c’est au premier degré, c’est casse-couilles. Mais après, si c’est au second degré comme je le fais – c’est-à-dire rire des clichés de ma communauté – c’est marrant. Tant que c’est fait avec parcimonie et que c’est bien fait, il n’y a pas de problèmes. Je fais partie des gens qui pensent qu’on peut rire de tout. Après l’humour, c’est une faculté qui n’est pas donnée à tout le monde… Le second degré en tout cas !
Tu avais déjà commencé avec Les Sales Blancs ?
Avec mon groupe, Les Sales Blancs, nous étions dans un autre délire musicalement. Proche de ce que pouvait faire Bone Thugs N Harmony, des productions très lourdes, des grosses sirènes… Très gangsta rap. Mais avec Les Sales Blancs, au niveau des textes, nous n’avons rien inventé. C’était du rap français, du rap de rue. C’était un rap de mecs de cité mais avec une ouverture musicale différente des autres mecs de cité. C’était un délire plus californien, plus west coast. Mais avec Les Sales Blancs on avait aussi ce désir de montrer que « ouais, les blancs ne sont pas des bouffons ! Il ne faut pas prendre tous les blancs pour des petits boloss, des petites victimes… » On a amené un côté blanc dur !
D’ailleurs, ça me désole de voir le travail qu’on a fait depuis des années avec Les Sales Blancs pour malheureusement tomber aujourd’hui avec… Quand je regarde les blancs qui rappent, les nouvelles générations, c’est autre chose.
« Nous, avec Les Sales Blancs, on avait amené un côté « blancs de cité, durs… » Là, on se retrouve avec des petits minets. »
Par exemple ? 1.9.9.5 ?
1.9.9.5 ? Ouais, il y a des trucs qui me désolent. Mais je préfère passer à coté, je n’écoute pas. De toute façon, je ne pense pas que cette musique me soit destinée. Et le truc puriste, « le rap, c’était mieux avant », je pense qu’aujourd’hui on s’en bat les couilles ! Enfin, moi personnellement, c’est quelque chose qui me laisse indifférent. Le côté « les gardiens du temple », je m’en fous ! Ça ne m’intéresse pas. Nous, avec Les Sales Blancs, on avait amené un côté « blancs de cité, durs… » Là, on se retrouve avec des petits minets. C’est autre chose. Mais après, attention, il en faut pour tout le monde ! Ça plaît à certains. Il faut être ouvert d’esprit, chacun son délire… Mais après, un mec comme Nekfeu (ndlr, un des leaders de 1995), c’est un mec qui rappe ! Tu ne peux pas lui retirer ce truc-là. Mais il y en a qui sont plus agaçants. Enfin ça ne me gène pas, je ne me sens pas du tout en compétition avec ces gens-là.
Suite à ton morceau sur DSK (Libérez Dominique), tu avais dû modérer des commentaires antisémites et sexistes…
Ouais, il y a eu énormément de commentaires antisémites à mon égard. Ce qui prouve qu’en France… Il y a beaucoup d’antisémitisme ! Dans le rap, il y en a beaucoup aussi. Après attention, moi je ne suis pas une victime. Je ne me pose pas en victime… Quand j’étais avec Les Sales Blancs, en tant que blanc, je ne me posais pas en victime. C’est comme ça, on fait avec ! C’est comme ça et ça ne changera pas, ça ne changera jamais ! On n’est pas dans le monde de Oui-Oui. C’est présent, ça fait partie des choses de la vie. Mais oui, on a eu beaucoup de commentaires « sale youpin » (rires)… Mais c’est comme ça. Après, la bêtise elle est là.
Plus généralement, que penses-tu de la non-régulation des propos racistes et homophobes sur Twitter ?
Écoute, il faut prendre les choses à la rigolade ! Les mecs qui font ces hashtags, à 99%, ils font ça pour rigoler. Les mecs font ça pour gole-ri ! J’en ai lu un, j’étais mort de rire. Le mec qui dit « #SiJ’étaisNazi mon dessert préféré serait les petits fours », comment tu ne veux pas rigoler ? Ce qui se passe sur internet, généralement, ça a l’importance qu’on veut bien lui donner. Ce ne sont que des blagues réchauffées…
C’est un faux problème ?
Exactement, c’est un faux problème ! On veut récupérer les choses, c’est tout. Il y a des humoristes qui sont bien plus tranchants. Pourtant, ils passent à la télé, ils passent sur les grandes chaînes…
Les rappeurs américains comme Rick Ross, avec sa mix-tape Black Bar Mitzvah, ou Drake, qui refait sa Bar Mitzvah dans un clip (HYFR), surfent sur une vague « jew-frendly. » Qu’est-ce que ça t’inspires ?
Je trouve ça cool ! À un moment donné, il faut décomplexer les choses. Si on montre plus de « juiveries dans le rap », ça se banalisera et ce sera plus cool. C’est ce que j’en pense ! Ça ne me gène pas, je trouve ça cool. Et pourquoi ça ne le serait pas d’ailleurs ?
« Si on montre plus de « juiveries dans le rap », ça se banalisera et ce sera plus cool. »
Ça ouvre la porte à un nouveau courant ?
Mais pas besoin d’aller aux États-Unis ! Moi, je reçois des mails de feujs, de mecs qui me disent « putain c’est super ! Tu nous représentes, ça nous fait plaisir d’avoir un mec qui nous représente, qui est décomplexé… » J’aurais pu faire le truc au premier degré, mais ça aurait été bien moins drôle.
Dans une interview pour l’Abcdr du son tu disais que, pour toi, le rap est « un truc de droite. » Tu te considères de droite politiquement ?
(Hésitation) Ouais, ouais on peut dire ça ! Écoute, moi j’ai 39 ans et dans ma vie je suis posé, je suis installé. Je préfère dire « je suis de droite » plutôt que de gauche caviar !
Mais ça veut dire quoi pour toi ?
Moi, je suis pour le capitalisme. Je suis pour que les gens puissent faire de l’argent. Je suis contre les 35 heures, je suis contre toutes ces idées préconçues. Pour moi, un mec qui a envie de bosser 70 heures par semaine, il le fait, il gagne son argent, il fait ce qu’il veut !
Au détriment des autres ?
De toute façon, ce sera toujours au détriment de quelqu’un. Chacun fait ce qu’il veut ! Il y a des mecs qui ont envie de bosser, ils bossent. Ceux qui n’ont pas envie, ils ne bossent pas. À un moment donné, c’est toi et c’est pour toi ! Je ne vais pas te mentir, je n’ai plus 20 ans. Et avec les années, tu t’installes, même financièrement. Moi, j’ai une situation, je bosse. Je ne me lève pas le matin en me disant « il faut que je fasse carrière dans le rap. » Ça fait partie de ma vie mais ce n’est pas ma vie ! Avec les années, je me suis embourgeoisé. Mais attention, je ne vis pas dans un château ! Je vais pas mentir aux gens et dire « wesh ! T’as vu la cité… », alors qu’aujourd’hui je vis dans une belle maison. Je suis honnête envers moi. C’est le plus important.
Tu es d’Evreux, que penses-tu de la place qui est donnée au rap de « province » ?
Avant, c’était un milieu très parisien, un microcosme très fermé. Je pense qu’aujourd’hui, il y a plein de mecs de province qui ont fait leurs preuves. Maintenant avec internet, il n’y a plus de province. Mais internet est une hache à double tranchant. Ça permet de te diffuser, que tu habites du côté de Sète, en Auvergne, en Dordogne ou dans un village au fin fond des bois. Mais le revers de la médaille, c’est qu’on trouve tout et n’importe quoi.
Tu avais dit que le premier album de Doc Gynéco, Première consultation, était « peut-être le meilleur album de rap français. » Il a annoncé son retour musical en 2013, c’est quelque chose que tu attends ?
Je ne l’attends pas mais je suis curieux ! Mais je réitère mes propos, pour moi Première consultation est un album que l’on peut encore écouter aujourd’hui avec plaisir. Que ce soit au niveau des choix de production et des thèmes abordés. Il avait ce côté nonchalant mais pour dire des choses assez dures, des réalités de la rue. Il avait ce truc là. Pour moi, c’était un très bon album de rap français et le choix des prods est magnifique. C’est un des meilleurs albums, peut-être le meilleur album de rap français. S’il nous fait une « Seconde consultation », moi je suis preneur ! Je n’ai pas d’a priori. Un artiste, je l’écoute parce que sa musique me plaît. Après, ce qu’il fait à côté n’est pas mon problème. Il y a des limites dans la décence mais ça ne me gêne pas. Le fait qu’il ait pu être avec Sarkozy… Il est rentré dans un truc qu’il ne maîtrisait pas. Il s’est fait défoncer, il a mal joué, mais ça ne m’a pas empêché d’écouter Première consultation. Les derniers projets ne sont pas terribles, ce n’est pas ma came, ça vieillit mal. Mais s’il revient avec un bon album, je l’écouterai, c’est sûr !