Les procureurs demandent qu’elle ne puisse plus se présenter aux élections présidentielles, ce qui renforce le discours du parti contre le système en place.
C’est un mercredi soir chargé en tension au tribunal de Paris, où se déroule depuis six semaines le procès concernant les assistants parlementaires européens du Rassemblement national (RN). Marine Le Pen, assise au premier rang des prévenus, s’efforce de maintenir son calme alors que le parquet demande contre elle cinq ans de prison, dont deux fermes, mais pouvant être aménagés. À cela s’ajoutent une amende de 300 000 euros et cinq années d’inéligibilité à effet immédiat.
Après quelques instants de silence, la députée du Pas-de-Calais passe en mode riposte avec les journalistes présents à la sortie de la salle. « Ce qui motivait le parquet, c’était de cibler Marine Le Pen pour l’exclure du monde politique et de s’attaquer au Rassemblement national pour déstabiliser financièrement le parti », exprime-t-elle, faisant référence à l’amende de 2,3 millions d’euros exigée par les procureurs. Elle réitère son discours sur TF1 le vendredi suivant, affirmant que « c’est ma fin politique qu’ils réclament ».
De la tempérance à la stratégie médiatique de défense
Le changement de ton est évident depuis le début de ce procès ouvert le 30 septembre. À l’origine, Marine Le Pen et son équipe avaient opté pour une approche axée sur sa sincérité, tentant de protéger l’image du parti en soulignant deux arguments majeurs. Un responsable du RN déclare : « Il n’y a eu ni emplois fictifs ni enrichissement personnel, contrairement à l’affaire Fillon. C’est une discussion sur le rôle des assistants parlementaires au sein de l’UE. Nous pensons qu’il est évident qu’ils s’impliquent politiquement et œuvrent pour le parti. » Le Parlement européen accuse le RN d’avoir détourné les fonds de Bruxelles pour rémunérer des collaborateurs qui n’étaient pas réellement attachés aux eurodéputés mais servaient les intérêts du RN. « C’est une affaire complexe, qui ne capte pas vraiment l’attention du public, » affirme un proche de Marine Le Pen.
Face à la perspective d’une exclusion politique pour 2027, le RN a adopté une stratégie de communication plus agressive, dénonçant ce procès comme une manœuvre politique. Un conseiller confie : « Nous ne nous attendions pas à des réquisitions si sévères et à la demande d’exécution immédiate ». En réaction, le parti a rapidement mobilisé ses troupes pour lancer une « contre-offensive médiatique ».
Sébastien Chenu, vice-président du RN, a accusé sur BFMTV-RMC « un parquet exécutant une mission politique, » tandis que Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme, a qualifié les réquisitions sur France 2 de « presque fanatiques ». Les élus RN ont également souligné une remarque de la procureure sur l’ancien eurodéputé Jean-François Jalkh, refusant de demander sa relaxe car cela lui « ferait trop mal », illustrant selon eux que « le RN est pris pour cible par le parquet ».
« Une approche à la Trump »
Selon Luc Rouban, expert de l’extrême droite, de tels discours pourraient galvaniser leurs partisans. « Ce procès leur offre l’opportunité de renforcer l’idée qu’ils luttent contre un système qui les cible. Cela pourrait finalement les resserrer davantage. » Le soutien est venu également d’Eric Ciotti et de l’opposant Eric Zemmour, chef de Reconquête.
Philippe Ballard, député de l’Oise, partage son expérience : « Depuis hier, je reçois une avalanche de messages dans ma circonscription. C’est un scandale, écrivons les militants de notre groupe. Cette situation renforce plus que jamais nos membres et sympathisants. Nous recevons énormément d’e-mails, dont trois quarts de soutien direct, » poursuit-il. Le parti mise sur cette réaction collective, espérant même l’amplifier. Comme le mentionne Philippe Olivier, eurodéputé et conseiller de Marine Le Pen, « l’indignation est un moteur politique extrêmement puissant. »
« Nous avons eu 11 millions de soutiens, ils vont se réengager et probablement en amener d’autres. »
Philippe Oliviereurodéputé RN
Pour dynamiser cette mobilisation, le parti a initié une campagne sur les réseaux sociaux arborant l’image de leur candidate sous le hashtag #JesoutiensMarine, accompagnée d’une pétition « Soutenez Marine ! ». Vendredi, elle avait déjà recueilli plus de 100 000 signatures, l’équivalent du nombre d’adhérents revendiqués par le RN.
Noëlline Castagnez, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, commente : « La victimisation mobilise efficacement un groupe. Compte tenu de ses enjeux légaux et politiques, Marine Le Pen doit maintenir une posture irréprochable au tribunal, ce qui rendra d’autant plus forte la mobilisation si elle est condamnée. Le parti s’unit ainsi face à l’attente difficile. »
Jordan Bardella, président du RN, a envoyé jeudi une lettre aux adhérents, soutenant que le parquet « entend priver une grande partie de notre électorat de son choix électoral ».
L’historien Pierre Allorant observe actuellement : « Le RN adopte une stratégie de rupture avec l’establishment, accusant la justice d’être sous influence politique. Cependant, cette rhétorique pourrait ne pas dépasser leur cercle habituel. Un parti cherchant à se normaliser ne peut attaquer l’institution judiciaire de manière trop radicale, » avertit-il. De manière inattendue, d’anciens adversaires comme Gérald Darmanin et Christian Estrosi ont critiqué l’idée d’inéligibilité automatique, la jugeant nuisible au débat démocratique.
Jordan Bardella, une alternative envisageable
Ce procès a propulsé Jordan Bardella sur le devant de la scène en tant que potentiel successeur. Alors que l’avenir politique de Marine Le Pen est incertain, Bardella, en pleine promotion de son livre, s’avance comme une option sérieuse. Un cadre du parti admet : « Si elle est déclarée inéligible, Bardella sera notre plan B, bien qu’à ce stade, c’est Marine qui représente notre meilleure chance en 2027. «
Toutefois, une candidature de Bardella, même précipitée, présente aussi des opportunités pour le RN. Pierre Allorant précise : « Le nom Le Pen reste un élément clivant qui ralentit la normalisation du parti. Un départ maîtrisé de Marine pourrait fusionner avantageusement victimisation et stratégie de dédiabolisation sous Bardella. »
Pour le parti, le choix aié en priorité est une quatrième candidature de Marine Le Pen. Kevin Pfeffer, député de Moselle, loue sa décision d’avoir placée Jordan Bardella en position prometteuse. Cependant, il espère que ce ne sera pas dans l’immédiat : « En attendant la décision du tribunal prévue pour le premier trimestre 2025, nous verrons si cette transmission de relais surviendra plus tôt que prévu. »
*Pierre Allorant est co-auteur avec Walter Badier de l’ouvrage à paraître Procès politiques : tribune ou tremplin pour l’opposition ? (Presses universitaires de Rennes, 2024)